Les caractères des marches entre Anjou et Bretagne
Contenu
Un paysage sur un relief en « tôle ondulée », orienté nord-ouest/sud-est
Une histoire géologique fondatrice d’un paysage orienté
La présence d’un socle précambrien renvoie à des épisodes très anciens de l’histoire géologique qui remontent à plus de 600 millions d’années. A cette époque, la région qui correspond aujourd’hui à la Bretagne était dans une période importante d’orogenèse (formation de massif montagneux).
Ainsi se met en place une véritable "cordillère ligérienne" qui, bien qu’elle soit totalement érodée, laisse transparaître aujourd’hui ses racines clairement orientées est/ouest. Les épisodes de transgression marine ultérieurs, notamment à l’Ordovicien (- 450 millions d’années), ont amené les grès avec des intercalations de minerais de fer dont l’exploitation va marquer beaucoup plus tard le paysage. La formation des Alpes va faire rejouer ce vieux socle en le fracturant sur des directions nord-ouest/sud-est, les failles vont ainsi ré-accentuer les racines des vieux plis et l’érosion va redessiner progressivement les reliefs dégageant les grès qui forment aujourd’hui ces crêtes alignées.
Par ailleurs, les dépôts de schistes et de schistes ardoisiers sur les sites de Noyant-la-Gravoyère, Combrée, La Pouëze, Renazé ont fait l’objet d’une exploitation importante (mines bleues et mines de fer).
Un relief « en tôle ondulée » qui oriente la structure du paysage
Schématiquement, le relief de cette unité donne au paysage un aspect de tôle ondulée : une succession de vallons et de crêtes orientés nord-ouest/sud-est créent de véritables phénomènes d’alternances dans le paysage.
Ainsi contrastent les belvédères sur les crêtes offrant de larges panoramas sur le paysage et les vues cadrées des vallées où succèdent les ambiances intimistes. Avec ces grandes ondulations du relief, la notion de covisibilités est très présente dans ce paysage. Ainsi, les vestiges de moulins à vents qui jalonnaient autrefois ces crêtes constituent encore aujourd’hui avec les clochers des repères forts sur l’horizon. L’important chevelu de cours d’eau dans les vallées encaissées est quant à lui exploité depuis longtemps par les retenues d’eau des moulins à eau et les lavoirs qui constituent un patrimoine encore présent.
Une lecture du paysage orientée
La direction de découverte du paysage joue de façon considérable sur les impressions laissées par ce dernier et sur la lisibilité du paysage de l’unité : La perception de ce paysage orienté génère des phénomènes d’alternances très forts quand on traverse l’unité du nord vers le sud et au contraire une perception très homogène et régulière quand on le traverse d’est en ouest :
- La découverte par une direction perpendiculaire aux lignes structurantes dévoile un paysage ouvert très lisible, très structuré, très organisée qui joue sur l’alternance entre les paysages en ‘creux’ (ambiance de vallons d’échelle plus intime) et ceux en hauteur d’échelle majestueuse. Le regard joue et se laisse porter par la kyrielle de relais visuels qui s’offrent à lui : village, formations végétales, habitat rural dispersé, patchwork de textures et de couleurs dessiné par les champs et cultures.
- La découverte de ce paysage par une direction parallèle aux lignes structurantes est quant à elle très différente si l’on se trouve sur une ligne de crête ou au contraire dans un creux. Dans le premier cas, le paysage s’offre visuellement de part et d’autre de la ligne de crête, révélant la structure très forte et les lignes de crête successives. Dans le second cas en revanche, les ambiances paysagères sont moins franches, plus confuses, plus ou moins harmonieuses. Le paysage est semi-ouvert à fermé. Les fonds sont parfois très plats (exemple au sud de l’unité) et parfois ondulés… Il n’existe pas de constante, pas d’ambiance majeure.
Des boisements et une trame bocagère qui structurent l’espace agricole dans le sens du relief
Des lignes de crêtes boisées
Un des éléments marquants de cette unité est la présence de grands ensembles boisés sur les crêtes du relief. Les sols étant plus pauvres sur ces terres hautes des crêtes gréseuses, la valorisation agronomique n’était pas véritablement rentable. Les landes, puis les forêts se sont donc largement développées sur ces crêtes.
Une trame bocagère semi-ouverte qui souligne et structure les pentes
L’unité est dominée par l’élevage, avec à la fois une tradition de production de viande bovine et de volailles. Ainsi, autour de Châteaubriant, le paysage est marqué par des élevages porcins et volaillers en hors sol ainsi que des troupeaux ovins plus présents à l’est. L’élevage bovin, lié à une production laitière, domine sur le reste du territoire. Cela se traduit par un paysage de bocage avec une trame de haies encore très dense par endroits, principalement à l’est et au nord de l’unité. Dans cette trame de haies alternent pâtures et cultures dont les parcelles de plus en plus grandes tendent à ouvrir la maille bocagère. Ce dynamisme agricole se traduit également par un bâti souvent monumental lié à l’activité agro-industrielle de transformation des productions agricoles.
Sur les pentes et ondulations les plus fortes, les haies soulignent dans le sens de la pente les reliefs des coteaux ou marquent les courbes de niveau. Cette trame végétale superposée au jeu topographique engendre des écrans végétaux successifs, constituant un paysage de qualité.
Les versants moins pentus des coteaux ou les plateaux sont soulignés quant à eux par une trame bocagère beaucoup plus distendue où la polyculture domine sur l’élevage. Là, les vues sont plus longues et ouvertes et les silos y constituent de véritables points de repères.
La végétation spécifique des fonds de vallées humides et des prairies inondables suit également la structuration est/ouest du paysage. Ainsi se distinguent par leurs couleurs spécifiques, la finesse de leur feuillage les saules, les frênes, les noisetiers et les aulnes qui composent l’essentiel de la ripisylve. Ils laissent place au chêne dans les haies bocagères au réseau relativement dense des prairies inondables ou sur les versants plus abrupts des vallées où ils sont ourlés de landes.
Pour en savoir plus sur les paysages de bocage
Une spécificité paysagère liée à l’industrie minière et des carrières
Loin de constituer un caractère identitaire du paysage, les signes visibles des activités minières et des carrières constituent des particularités importantes sur l’ensemble de l’unité, dont les fronts de taille et les chevalements sont encore bien lisibles dans le paysage.
A partir du XVIIème siècle, la mise en œuvre de la technique des hauts-fourneaux participe à un nouvel essor de l’activité métallurgique, qui permet de valoriser les nombreuses forêts de l’unité. De nombreux sites de forges apparaissent dans le paysage notamment au niveau des principales vallées où l’on utilisait à la fois l’énergie hydraulique et les ressources en boisements. C’est le cas notamment des forges de Moisdon-la-Rivière dont on lit encore aujourd’hui l’activité intense au regard des éléments architecturaux qui ont perduré, grâce notamment au classement du site.
L’arrivée du coke comme combustible et de la machine à vapeur révolutionne encore une fois les techniques de la métallurgie et donne notamment naissance à la forge de la Jahotière à d’Abbaretz. L’exploitation des richesses du sous-sol donne par ailleurs naissance à l’une des curiosités de l’unité, la montagne d’Abbaretz, terril issu de la mine d’étain à ciel ouvert exploité jusque dans les années 1950.
Si les sites ardoisiers ne sont plus en activité, les marches entre Anjou et Bretagne sont encore aujourd’hui marquées par de nombreux sites d’extraction à ciel ouvert et d’infrastructures qui leur sont liées : les premiers contrastent généralement sur la palette verdoyante du bocage par des couleurs franches et nettes ocres de leur front de taille, les seconds imposent des volumes bâtis impressionnants. (Exemples : Chazé-Henry – Saint-Michel-et-Chanveaux - La Cornuaille – Saint-Aubin-des-Châteaux – Erbray)
Ce patrimoine industriel se traduit aussi plus indirectement dans l’organisation de certains bourgs qui présentent des formes urbaines spécifiques des secteurs miniers (de type coron) : alignement des maisons toutes identiques sur des voiries larges. (Exemple : Noyant-La-Gravoyère - Bel-Air – Combrée - Nyoiseau)
Un habitat rural traditionnellement diffus et intégré à un cadre végétal
Un habitat diffus typique du bocage
Sur ce territoire traditionnellement d’élevage, le bâti s’implante de manière diffuse au coeur des prairies et cultures délimitées par la trame bocagère. En dehors des bourgs très denses, l’exploitation est isolée et souvent à l’écart des voies de distribution.
Les fermes traditionnelles sont d’ampleurs variables, parfois très modestes et petites, parfois vastes et cossues. L’organisation des volumes les uns par rapport aux autres, souvent de manière linéaire à l’instar des longères bretonnes, offre toujours un équilibre entre végétal et bâti agréable.
Des matériaux de construction homogènes
Schistes et ardoises constituent les principaux matériaux de construction. Ils sont souvent enduits (matériaux locaux) avec entourage des ouvertures souvent en briques et exceptionnellement en tuffeau (provenant souvent du Saumurois) signe de richesse du propriétaire.
Ces matériaux sombres confèrent à la maison un aspect sévère, rappelant la maison du pays de Rennes. Les habitations adoptent un plan en longueur, regroupant habitations et dépendances au sein du même bâtiment, avec parfois des appentis de part et d’autre de la construction principale. Le plus souvent, la construction ne présente qu’un seul niveau avec un grenier. On observe un léger exhaussement de la toiture au-dessus des lucarnes, et souvent des linteaux en poutres de bois.
Un bâti agricole contemporain plus prégnant dans le paysage
L’évolution du système de cultures et des techniques agricoles a engendré la construction de nouvelles dépendances, volumes parallélépipédiques souvent en bardage métallique clair (bâtiment de stockage ou d’élevage hors sol). Ces bâtiments ont contrairement à l’habitat traditionnel des volumes imposants et massifs, des couleurs claires qui contrastent fortement avec le bâti traditionnel ont un impact visuel très marquant, notamment sur les secteurs où la trame bocagère est moins dense. De même le développement des grandes cultures sur les plateaux s’est accompagné de la mise en place de silos qui constituent aujourd’hui de véritables points de repère dans le bocage.
Un patrimoine de châteaux qui se distingue par la dimension de ses parcs
Le paysage des marches entre Anjou et Bretagne est également ponctué d’importants châteaux, qui s’ils sont peu nombreux n’en sont pas moins imposants. Peu visibles à première vue, ils se distinguent avant tout par l’importance de leur domaine et leur parc. On perçoit d’abord la présence d’une longue allée bordée d’un double alignement qui s’étire dans la campagne pour se terminer sur une grille monumentale ou une longue perspective ouverte dans un boisement. Flanqués de bois voire s’appuyant sur des forêts, les imposantes façades ne se découvrent souvent qu’au dernier moment ou dans l’enfilade d’une longue perspective.
Des forteresses des marches de Bretagne au maillage actuel de pôles urbains
La frontière des marches de Bretagne
L’unité appartient au Moyen-Âge à la Marche de Bretagne. Apparue au VIIIème siècle, la Marche de Bretagne est une zone stratégique, espace d’échanges économiques, sociaux et culturels, mais aussi terrain d’affrontements et de rivalités entre ducs de Bretagne et rois de France. Une ligne de forteresses s’érige alors de Dol-de-Bretagne à Pornic en passant par Fougères, Vitré ou Clisson (côté breton), à laquelle répondent côté français les places fortes du Mont-Saint-Michel, Pouancé, Tiffauges ou Noirmoutier.
Au coeur de cette « frontière » aujourd’hui oubliée, les châteaux de Châteaubriant et Pouancé, marquent sur leur promontoire dominant la vallée le paysage des anciennes villes « frontière » des marches de Bretagne. Ces villes sont très tôt devenues des zones d’échanges économiques majeures.
Témoignent de cette histoire non seulement les forteresses majeures mais aussi un patrimoine à la fois matériel et immatériel : abbayes, foires, forêts, manoirs, routes, ou même la toponymie. Cela explique la formation très ancienne de « gros bourgs » et de villes qui jalonnent cette frontière. Aujourd’hui le territoire est encore maillé de pôles urbains qui se distinguent des bourgs de l’unité non seulement par leur concentration économique mais aussi par les paysages résolument urbains de leur centre : Segré, Châteaubriant, Pouancé, Candé.
Des bourgs repères sur les crêtes ou à l’accroche des vallées
Au Sud-Ouest de l’unité, on remarque que l’implantation des bourgs et hameaux s’effectue plutôt en crête, comme dans le cas de la commune d’Abbaretz ou de Freigné.
Au Nord de l’unité, les bourgs sont souvent structurés sur les cours d’eau, à l’exemple de Saint Aubin des Châteaux.
Un réseau d’infrastructures marquantes
Le réseau routier est structuré en étoile autour de Châteaubriant. Les axes majeurs sont la RN 171, liaison est-ouest qui relie Saint-Nazaire à Laval et la D775, liaison Angers-Rennes. Ils constituent des vecteurs de diffusion du développement urbain important (cf. volet dynamique des paysages).
Le réseau ferré en fonctionnement se limite au tronçon Châteaubriant-Rennes. La ligne Nantes Châteaubriant est réexploitée depuis 2014 sous forme d’un tram-train.
De nombreuses éoliennes sont implantées sur l’unité paysagère. Cela se traduit par des jeux de covisibilités déjà bien lisibles d’un parc à l’autre, voire de saturation visuelle.
Pour aller plus loin sur le patrimoine culturel et naturel
Patrimoine culturel :
- Consulter l’article Les paysages institutionnalisés
- Consulter la rubrique "Sites et paysages" sur le Portail de données communales de la DREAL Pays de la Loire
- Consulter l’Atlas des Patrimoines du Ministère de la Culture
- Consulter les Bases Architecture et Patrimoine du Ministère de la Culture
Patrimoine naturel :
- Consulter la rubrique "Patrimoine naturel" sur le Portail de données communales de la DREAL Pays de la Loire
- Trame verte et bleue : consulter le Schéma régional de cohérence écologique (SRCE) des Pays de la Loire
Sources bibliographiques
- CERESA, Atelier TRIGONE. Atlas des paysages de la Mayenne. 4 tomes. DIREN Pays-de-la-Loire, DDE Mayenne, 1999.
- VU D’ICI, AGENCE ROUSSEAU, ALTHIS, AQUALAN. Atlas des paysages de Loire-Atlantique. DREAL des Pays de la Loire, DDTM de Loire-Atlantique. 2010.
- BOSC & PIGOT, VU d’ICI, Bruno DUQUOC. Atlas des paysages de Maine-et-Loire. Département de Maine-et-Loire, DIREN, Pays de la Loire, DDE Maine-et-Loire Version éditée Le Polygraphe, 2002.
- BOSC & PIGOT, VU d’ICI, Bruno DUQUOC (Architecte). Dossier Etude de l’Atlas de paysages de Maine et Loire. 1999 – 2001.